Premier timbre de l'Algérie indépendante
« Entretien avec Krimat Ahcène, l’imprimeur du 1 + 9.
40 ans, jour pour jour, après l’émission de 1 + 9, PHILnews a réussi à retrouver la trace de son imprimeur. Il s’agit de monsieur Krimat Ahcène, propriétaire de l’imprimerie, Les Impressions d’Art sise à Hussein-Dey (Alger), celle qui a vu naître la première figurine postale de l’Algérie indépendante.
Natif de Djidjelli, actuelle Jijel, c’est la première fois depuis 1962 qu’il est approché au sujet de ce timbre. L’homme dont le chemin a croisé un jour celui du premier attribut philatélique de notre souveraineté chèrement acquise, a été relégué aux oubliettes. Jamais il ne s’est rappelé au bon souvenir de nos bureaucrates de la culture. Artisan laborieux, amoureux de son métier mais aussi de son pays, il a su garder le secret de cette émission. L’homme affable, presque surpris que l’on s’intéresse soudainement à lui à propos d’un timbre, a accepté de revenir vers nous à propos de ce timbre presque mythique.
Parlez-nous de votre imprimerie...
C’est une imprimerie que j’ai prise en gérance libre le 1er octobre 1961. Elle employait huit ouvriers, tous Européens à l’exception d’un jeune Algérien formé ici-même.
Votre imprimerie avait-elle imprimé des timbres-poste avant le 1 + 9 ?
Nous imprimions des vignettes pour le compte de la CASICRA de l’époque [Caisse d’Assurances Sociales Interprofessionnelle de la Région d’Alger]. C’étaient des timbres imprimés en une ou deux couleurs sur papier gommé de 72 grammes. La livraison se faisait par planche de 20 à 50 timbres selon le modèle.
Par qui avez-vous été approché pour l’impression du 1 + 9 ?
Probablement par les gens de la Fédération du FLN de l’époque parmi lesquels j’avais des amis qui me connaissaient en tant qu’imprimeur. Mais honnêtement, je n’avais jamais eu de contact avant.
A votre avis, pourquoi un tel choix s’est porté sur votre imprimerie ?
Peut-être que l’on ne voulait pas que l’impression se fasse chez un Européen et que des personnes qui me connaissaient avaient jugé qu’il était préférable de confier l’impression à un artisan algérien et de surcroît connu.
Quelles étaient les consignes particulières qui vous avaient été données ?
Deux consignes : d’abord le délai, ensuite de travailler seul.
Combien y avait-il de personnes chargées du contrôle ?
Il y avait trois personnes. Après la livraison « fin d’impression », ces personnes ont détruit tout ce qui avait trait à l’impression, c’est-à-dire les feuilles gâchées et les habillages. Les clichés leur ont été remis après nettoyage.
Quand s’est déroulée l’impression ?
L’impression s’est déroulée le 31 octobre 1962, de 21 heures à 6 heures du matin.
Combien de personnes étaient chargées de l’impression ?
Uniquement ma personne.
Sur quel type de machine s’est effectuée l’impression du 1 + 9 ?
Sur une platine GT. Heidelberg (34 x 46) Typo.
Au moyen de quelle machine s’est faite la perforation ?
Avec une vieille perforeuse à aiguilles manuelle. C’est une perforeuse professionnelle qui nécessitait plusieurs opérations de réglage.
Certains philatélistes parlent de deux tirages distincts. Combien y en a-t-il eu exactement ?
Un seul chez moi.
Comment expliquez-vous la mauvaise qualité d’impression ?
Le papier présentait des gondolements et à cause de la précipitation, les taquets de rectification n’ont pas joué leurs rôles. Mais il y avait aussi le montage des clichés. En somme, qui dit mauvaise rectification dit mauvaise qualité.
Sachant que chaque feuille se compose de vingt-cinq timbres, combien de feuilles exactement avez-vous imprimé ?
Je crois me souvenir avec vraiment un doute 600 exemplaires mais après triage et retrait des mauvaises feuilles, j’ignore ce qu’il en restait.
Peut-on avoir une idée du coût de l’impression ?
La facture a été établie au nom de la Fédération FLN d’Alger, au mois de novembre 1962 pour un montant de 1 320 NF de l’époque, facture encore enregistrée sur mon livre comptable.
Que sont devenues les deux plaques en zinc ayant servi, l’une pour le vert, l’autre pour le rouge ?
Elles ont été soigneusement nettoyées et remises aux personnes qui en avaient pris livraison.
Que sont devenus les essais ?
Comme je l’avais dit auparavant, les essais ont été brûlés en ma présence dans la cour de l’imprimerie.
Etiez-vous conscient, à l’époque, du caractère historique du travail que vous veniez d’effectuer ?
Evidemment que oui. Mais j’avais gardé humblement cette satisfaction que d’ailleurs, je ne voulais pas ébruiter vu la mauvaise qualité de l’oeuvre.
Avez-vous eu l’impression que cette opération s’est faite dans la précipitation ?
Absolument. Sinon, pourquoi avoir laissé jusqu’au dernier jour pour penser à réaliser ce travail ?
Avez-vous été contacté par la suite, au sujet de cette impression ?
Non.
Avez-vous des anecdotes, en rapport avec le 1 + 9 à nous raconter ?
La seule qui me vient à l’esprit est qu’après avoir tout brûlé, nous avons mes trois gars et moi-même pris un bon déjeuner composé de beignets et de café au laid chaud, ici même dans cet atelier.
Propos recueillis par Med Achour Ali Ahmed et Djamel Lahlou.
Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie (ou du moins celui du cessez-le feu) aurait pu inspirer les postes algérienne et française en vue de réaliser une émission conjointe. Une occasion ratée, encore une fois, comme celle de l’année de l’Algérie en France en 2003 qui a vu l’administration postale algérienne sortir une émission de façon unilatérale. Laissons ce passé qui nous divise aux historiens et occupons-nous de ce qui nous rapproche afin de bâtir un avenir fraternel.
Med Achour Ali Ahmed
Un grand merci d’avoir pu recueillir ce témoignage intéressant et inconnu de la plupart des philatélistes. Nous en profitons pour saluer nos lecteurs en Algérie.
Du : 01-06-2012
Auteur : Mohamed Achour Ali Ahmed
Source : Timbres Magazine (timbresmag.com)